CHAPITRE XX
— Ils ont falsifié quoi ? demanda Yan.
— Des certificats de transit, répondit Baffle.
Branché sur une banque de données du spatioport, le droïd récupérait des informations. Autour d’eux, des groupes de réfugiés de différentes espèces, des pilotes, des traducteurs et des fonctionnaires en uniforme couraient en tous sens.
— D’après les renseignements que j’ai obtenus, dit enfin le droïd, les membres du clan de Droma sont accusés d’avoir fabriqué de faux documents de transit qui ont permis à plusieurs centaines de réfugiés, y compris les trente-sept Ryn de l’installation 17, de quitter Ruan à bord d’un cargo commercial.
Yan se passa une main sur le visage. Ils arrivaient trop tard ! Les autres Ryn envolés, Droma était en état d’arrestation, simplement parce qu’il était un Ryn…
— Trouve le nom du vaisseau.
— Le Trevee, répondit le droïd après quelques réglages à son processeur. Il est immatriculé sur Nar Shaddaa.
Yan pinça les lèvres. Ce n’était peut-être pas le groupe de Tholatin. Nombre de compagnies légales transportaient des réfugiés. Le Trevee appartenait peut-être à l’une d’elles…
— Pourquoi Salliche Ag se soucierait-elle d’un groupe de réfugiés voyageant avec de faux documents ? demanda-t-il. L’idée générale est bien de transférer tous ces gens vers des mondes d’accueil, non ?
— Même si Salliche Ag pousse les réfugiés à rester sur Ruan, elle ne poursuit habituellement pas les coupables de ce type de délit. Mais dans ce cas précis, les Ryn sont aussi accusés de conspiration. Le capitaine et l’équipage du Trevee sont soupçonnés de fraude. Au lieu d’amener les passagers à la destination promise, ils les auraient abandonnés sur d’autres mondes.
Yan se souvint de ce que lui avait dit le chef de la sécurité sur Tholatin… Les réfugiés étaient souvent déposés sur des planètes que les Yuuzhan Vong avaient prévu d’envahir. Les membres du clan de Droma étaient peut-être tombés de Charybde en Scylla…
— Vérifie si le Trevee a laissé un plan de vol aux autorités de Ruan.
Baffle s’attela à la tâche.
— Oui. Le Trevee est parti pour Abregado-rae.
Yan fronça les sourcils. Il comprenait que les réfugiés préfèrent à Ruan un monde du Noyau. Mais ça n’était pas une cible d’un grand intérêt stratégique pour les Yuuzhan Vong.
— C’est curieux, dit Baffle.
— Quoi donc ?
— Selon une note ajoutée au plan de vol, le saut hyperspatial effectué par le Trevee aurait mieux convenu à Thyferra ou Yag’Dhul qu’à Abregado-rae.
Yan réfléchit. Yag’Dhul, la planète inhospitalière des Givin, était pour les envahisseurs une cible encore moins intéressante qu’Abregado-rae. Mais Thyferra, la principale source de bacta de la galaxie… Voilà une cible tentante, même bien défendue.
Yan hésitait. S’il partait illico pour Thyferra, il y trouverait probablement les amis de Droma avant l’attaque de la planète par les Yuuzhan Vong. Mais qu’arriverait-il à Droma pendant ce temps ? Et s’il restait sur Ruan, quel serait le sort des trente-sept Ryn restants ?
— Thyferra me paraît un meilleur choix que Yag’Dhul, dit Baffle.
— Je croyais que tu n’avais jamais quitté Ruan depuis ton activation sur les chantiers de Fondor ?
— C’est exact. Du moins, autant que je m’en souvienne. Parfois, j’ai l’impression d’avoir voyagé davantage que mes souvenirs me le disent.
— Pourtant, tu es sûr de ne jamais avoir étudié les droïds de guerre avec un Ruurien appelé Skynx ?
— J’en suis presque sûr, concéda Baffle.
— Presque…, ricana Yan. Dis-moi, pour un droïd-ouvrier, tu es sacrement doué pour récupérer des données !
— Cela s’explique aisément. Avant d’être chauffeur de taxi, j’ai travaillé aux quartiers généraux d’un district. Je supervisais la réaffectation des droïds retirés des exploitations agricoles.
— Un travail de fonctionnaire.
— En quelque sorte. Si vous le désirez, je peux vous aider à libérer votre partenaire.
— Ce n’est pas mon partenaire ! rectifia Yan sèchement. D’ailleurs, je le vouvoie.
— Votre « compagnon de voyage », si vous préférez.
Yan regarda le droïd, puis soupira.
— D’accord. Je t’écoute.
— Monsieur, puis-je être assuré que vous ne révélerez rien de ce que je vous dirai, quelle que soit votre décision concernant les Ryn ?
Yan ricana.
— Si tu es un droïd-ouvrier, je veux bien manger mon chapeau !
— Ai-je votre parole ?
— Oui. Il n’y a pas mieux que moi pour garder un secret. (Yan regarda le droïd régler son modulateur.) Que fais-tu ?
— Je préviens certains de mes camarades que nous les rejoindrons bientôt. Si vous voulez bien me suivre…
Ils se glissèrent discrètement par une petite porte du terminal ouvrant sur un antique ascenseur actionné par câble qui les fit descendre de plusieurs niveaux. En sortant de l’ascenseur, Baffle et Yan longèrent des usines d’électricité à turbines qui faisaient un boucan épouvantable, puis remontèrent une série de couloirs de maintenance courant sous les plates-formes d’atterrissage et d’amarrage du spatioport. Deux autres droïds les rejoignirent en chemin : un 8D8 vaguement humanoïde adapté à la maintenance des hauts fourneaux, et un technodroïd arachnoïde aux jambes télescopiques. Ils atteignirent un entrepôt faiblement éclairé où attendaient une trentaine de droïds de modèles différents. Une vieille unité P2 aux bras manipulateurs abîmés, un droïd de protocole militaire, un droïd d’entretien ménager avec des tuyaux d’aspiration lui tenant lieu de bras, un droïd manutentionnaire J9 aux yeux à facettes, deux C2-R4 dont le corps évoquait une poubelle et un Cybot de réparation LE, depuis longtemps tombé en désuétude…
Yan eut l’impression de se retrouver dans un bazar jawa… Mais il garda ses réflexions pour lui.
Baffle expliqua à ses collègues de quoi il retournait. Les droïds échangèrent des commentaires. Yan entendit plusieurs fois un mot qui ressemblait à Ryn. Puis toutes les têtes et les détecteurs de l’assemblée se tournèrent vers lui.
— Eh, les gars, voilà un moment que je n’ai pas parlé la langue des droïds !
Baffle lui présenta des excuses.
— Désolé. Nous avons tendance à oublier que les cerveaux humains ne sont pas aussi rapides que nos processeurs !
— Garde ton boniment pour toi et dis-moi de quoi il retourne !
Baffle désigna le droïd de système de commande qui les avait rejoints dans le couloir de maintenance.
— Pip a localisé Droma. Comme je l’avais supposé, il n’est pas détenu à l’installation 17, mais dans les quartiers généraux de Salliche Ag. Il attend la lecture de l’acte d’accusation et la sentence. S’il est reconnu coupable de conspiration, la condamnation minimale est cinq ans de travaux forcés.
Le droïd arachnoïde projeta l’hologramme d’un vaste complexe construit sur une colline surplombant des champs.
— La zone où Droma est détenu est interdite aux droïds, précisa Baffle, mais un humain n’aurait aucun problème à y aller.
Une partie de l’hologramme s’agrandit, montrant le pied de la colline, où des aqueducs et des plans de retenue canalisaient l’eau vers un labyrinthe de canaux d’irrigation.
— Comment m’y prendrais-je, à votre avis ? demanda Yan. Je ne peux pas me pointer là et l’emmener avec moi !
Baffle pépia quelque chose à Pip, qui afficha un hologramme des uniformes et des badges d’identification, certains portant le logo de Salliche Ag.
— Nous vous fournirons les vêtements et les papiers nécessaires, dit Baffle, ainsi qu’un plan des quartiers généraux et une carte du secteur environnant. Nous nous chargerons de faire authentifier vos papiers par les dispositifs de sécurité, mais vous devrez convaincre les êtres vivants que vous êtes bien celui que les documents indiquent. Il vous appartiendra aussi de localiser et de récupérer Droma, puis de vous échapper par le chemin que vous estimerez le plus approprié.
Yan fit le tour de l’hologramme.
— J’ai besoin d’une arme facile à dissimuler.
— C’est faisable, assura Baffle.
— Je ne voudrais pas paraître ingrat, mai j’ai l’impression que vous ne faites pas ça par pure bonté d’âme, hum… de programme. Quel est votre prix ?
Les droïds bourdonnèrent et cliquetèrent.
— En récompense, dit Baffle, nous voudrions un service.
Un autre hologramme se matérialisa une image détaillée des quartiers généraux.
— Dans une pièce du cinquième niveau de l’aile est, vous trouverez la commande principale du système de surveillance des milliers de droïds ouvriers de ce secteur, tous équipés d’un détecteur de coupure actionné par télécommande.
Yan étudia l’hologramme.
— Ce système est une sorte de verrou de neutralisation à distance.
— Exact.
Yan sourit.
— Vous voulez que je le désactive.
— J’aurais plutôt utilisé le verbe « saboter », dit Baffle.
— Si vous êtes capables de me faire franchir les contrôles de sécurité du bâtiment, pourquoi ne pas vous charger du boulot vous-mêmes ?
— L’émetteur est uniquement accessible aux êtres vivants. Pour entrer, il faut un scan d’empreinte palmaire…
— … que vous pouvez me procurer, coupa Yan, regrettant presque que Droma ne l’ait pas entendu terminer la phrase du droïd. Un code permet d’annuler le système de sécurité ?
— Nous n’avons jamais eu accès à l’émetteur. Donc, nous sommes d’avis que la démolition pure et simple est le moyen le plus sûr. Mais nous pouvons vous fournir une datacarte contenant un virus informatique qui devrait avoir le même résultat.
— Et après ?
— L’émetteur désactivé, les milliers de droïds mis à la retraite par Salliche Ag échapperont à leur prison.
Yan regarda les droïds, inquiet.
— Comprenons-nous bien. Salliche Ag a placé un tas de machines, euh, de types comme vous, en réserve ? Pourquoi ?
— Salliche Ag aimerait faire croire à tout le monde que l’emploi de travailleurs biologiques lui permet de fournir des produits alimentaires « ramassés à la main et triés sur le volet ». En réalité, la société supprime les droïds pour se conformer à la doctrine antimachines des Yuuzhan Vong. Les dizaines de milliers de droïds désactivés seront un cadeau pour les envahisseurs quand ils arriveront dans le Noyau.
Yan frémit. L’équipage du Trevee avait choisi Ruan parce qu’il y avait déjà des agents ennemis sur place !
— Vous savez que la désactivation de cet émetteur déclenchera toutes les alarmes du complexe.
— Oui, mais nous pourrons les couper, répondit Baffle. De plus, quand nos camarades seront réactivés, nous ouvrirons les salles de stockage. Dans la confusion, vous vous échapperez plus aisément.
— Pour sûr ! Droma et moi passerons inaperçus au milieu d’un tas de droïds en fuite…, marmonna Yan. Mais là n’est pas la question. Qu’est-ce qui empêchera Salliche Ag de réparer l’émetteur et de désactiver de nouveau les droïds ?
— Avec un minimum de temps, nous extrairons les détecteurs de télécommande des droïds libérés, comme nous l’avons fait pour nous.
— Sans que Salliche Ag s’en aperçoive ?
— Tous les droïds de Ruan subissent des vérifications périodiques de leur système de désactivation. Beaucoup d’entre nous se sont volontairement laissé désactiver pour protéger notre secret.
— Ça n’est pas contraire à votre programmation ?
— Nos programmes nous empêchent d’attaquer directement des êtres vivants, mais rien ne nous interdit de prendre des mesures d’autoprotection. Nous attendions l’arrivée de l’être biologique qui accepterait de nous aider.
Yan leva une main.
— Pas si vite ! Même si j’accepte, et qu’il soit soudain impossible de désactiver des milliers d’entre vous, rien n’empêchera Salliche Ag de vous traquer et de vous placer de force des verrous de neutralisation. Ou de vous détruire !
— Nous avons conscience du sort qui nous attend, dit Baffle. Avant que Salliche Ag ait le temps de nous exterminer, nous diffuserons une proclamation de résistance passive qui attirera l’attention de la galaxie sur notre problème et préviendra nos camarades des dangers qui les guettent.
Yan repensa à C3PO et à son obsession de la désactivation, puis à Droma, qui lui avait sauvé la vie par deux fois… Il lui aurait été plus facile de libérer Droma en révélant simplement son identité aux autorités de Ruan, et en prétendant que le Ryn et lui étaient en mission pour la Nouvelle République… Mais ce pis-aller avait ses inconvénients. A cause de la part que Yan avait prise dans l’affaire Elan, le directeur Scaur nierait peut-être tout lien entre les Renseignements de la Nouvelle République et lui. Et si Leia apprenait ce qui se tramait, elle l’accuserait de se mêler des affaires du Cosere. Sans compter que ça n’aiderait en rien Baffle et les droïds de Ruan…
— Je suis votre homme, décida Yan. Mais à une condition. Je veux savoir où le Trevee est réellement allé.
— Je m’occuperai en personne de la question, promit Baffle.
Yan inspira à fond.
— Droma est détenu dans une zone interdite aux droïds. Où ?
— L’usine de transformation des produits.
— La transformation des produits ?
— Le traitement du purin, souffla Baffle.